La forge de la création

17,50

La forge de la création est le troisième recueil de Michèle Zwegers publié aux éditions Accents poétiques. L’auteure définit fort bien son intention dans son propos suivant :
 » J’ai creusé, creusé les murs, épluché les mots, ôté leur chair jusqu’au trognon, jusqu’à la flamme, jusqu’à la forge de la création. Là enfin, j’ai vu naître le soleil aux mille pattes, les miroirs déformés qui vomissent des images insensées, les puits qui s’ouvrent sur la chevelure folle des oliviers en transe. »

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Description

Émilie Notard : Alors qu’à la fin des années 70 et dans les années 80 ton écriture allait bon train, tu as cessé d’écrire pendant 22 ans. Mais depuis la publication D’écorce et d’écume (2016), tu sembles rattraper le temps perdu : après Les galets bleus (2017), tu publies aux éditions Accents Poétiques ce troisième recueil1 intitulé La forge de la création. Sens-tu toujours cet appel du gouffre, cette irrésistible force qui te pousse à écrire jusqu’à l’inéluctable chute, la noyade au creux des encres ?

Michèle Zwegers : Une force, que je ne contrôle pas, souvent me pousse au bord de la falaise, face à la mer, et me laisse seule, avec, à mes pieds, des petits yeux qui sortent des pierres. Des petits yeux qui me regardent et semblent dire : « Que va-t-il jaillir de cette rencontre entre l’âme et l’infini ? » Je sens les mots en moi se réjouir. Déjà, ils revêtent leur costume de fête. Mais peut-être les déshabillerai-je avant de les envoyer vers la fournaise des profondeurs. L’appel du poème me fascine. Je l’aime cet appel, je ne veux pas le décevoir. Surtout pas.

Émilie Notard : Quand tu dis ne pas vouloir décevoir l’appel du poème, tu sous-entends une certaine exigence à laquelle ton écriture doit répondre. La poésie n’est pas le simple exutoire d’une âme en peine, c’est aussi un art.

Michèle Zwegers : L’art poétique, j’ai vite compris que ce n’est pas raconter sa vie, ses amours, ses tourments, ses joies ou ses peines… C’est :

plonger au cœur
de l’émotion

autour du feu
tourner en rond

et saisir l’étincelle2

Émilie Notard : Au bord de la falaise, tu peux à tout moment succomber soit au chant de la folie soit à la voix de la banalité. Comment parviens-tu à rester dans l’émotion et à la modeler sans que tu t’y noies ou que tu t’éloignes trop de son rivage ?

Michèle Zwegers : Lorsqu’une émotion m’envahit, je rentre en elle jusqu’au fond de son ventre. Je sais que, de cette pénétration, va surgir des images insolites, des arbres qui parlent entre eux, des hortensias géants debout sur un sol en feu ou des carpes aux yeux retournés. En 1983, j’écrivais déjà :

écrire au seuil de la folie
pour saisir les images
flottant dans l’inconscient

comme un banc de carpes
aux yeux retournés3

Mais il faut être au bord de la falaise avec cette capacité de faire à tout moment un pas en arrière pour retrouver l’équilibre sur le chemin des réalités. Sinon le vertige nous emporte trop loin, hors de nous-mêmes, et l’on tombe de la falaise, avec les arbres qui parlent entre eux, avec les hortensias géants et les carpes aux yeux retournés. La création artistique comporte quelque danger. Sans danger, sans ce risque de demeurer de l’autre côté du miroir, comment sortir de la banalité ? Comment « voir l’autre monde » ? Comment découvrir l’autre réalité, cette réalité intérieure qui nous habite, et qui ne demande qu’à s’exprimer ?

Émilie Notard : Alors que tu maîtrises aujourd’hui le périlleux exercice qu’est l’écriture, qu’en était-il à tes débuts ?

Michèle Zwegers : Au début, j’ignorais encore que l’écriture poétique était une aventure qui menait à l’ART, à la pureté de la source. Moi, je combattais la bête qui me rongeait. Je combattais la douleur, les blessures de ma naissance, de mon enfance. Je n’avais qu’un désir : combattre jusqu’aux limites permises par la raison et triompher à la lisière des forêts enivrantes.

Émilie Notard : Plus qu’une aventure, ton premier rapport à l’écriture a été un combat. Tu cherchais à panser tes blessures. C’est d’ailleurs un thème récurrent dans tous tes recueils, même dans celui-ci, ce qui indique que les plaies ne sont toujours pas refermées…

Michèle Zwegers : Mais la poésie efface-t-elle les douleurs de l’enfance ? Pas vraiment. C’est juste un exutoire, un apaisement passager. La blessure demeure à tout jamais béante. Il faut vivre avec, avoir la sagesse de l’accepter. Les mots étaient devenus mes compagnons des bons et mauvais jours. Ils s’accrochaient à moi, ils trépignaient d’impatience, ils me montraient une autre voie qui mène à l’art, à la source pure. Et je suis partie avec eux tenter une nouvelle aventure.

Émilie Notard : Après avoir d’abord suivi la voie de l’écriture-exutoire dans les années 80, tu as bifurqué vers cette autre voie. Comment a commencé cette nouvelle aventure d’écriture ?

Michèle Zwegers : D’abord mon esprit, il fallait le dompter, lui apprendre les règles de la versification, pour, ensuite, jouer avec elles. Il fallait, dans l’eau agitée de mon esprit, ancrer une structure, une portée sur laquelle viendraient s’accrocher les mots, car chaque syllabe est une note de musique. Une syllabe de trop ou une syllabe en moins et mon oreille siffle, elle est écorchée, blessée. Une fausse note et le poème s’effondre. Comme une musicienne, j’ai fait des gammes et des gammes. Le rythme, encore du rythme jusqu’à l’étourdissement, comme on peut le voir dans ce poème :

et puis…

il cherche
recherche
un jour
l’amour
profond
au fond
d’un puits
et puis
invente
l’amante

il porte
emporte
d’un tour
l’amour
heureux
des jeux
et puis
le puits
d’usure
suppure

il jette
rejette
au vent
suivant
l’amour
autour
du puits
et puis
regrette
Lisette

alors
ailleurs
il cherche
recherche
balourd
l’amour
profond
au fond
d’un puits
et puis…4

Les chemins de l’écriture – titre du dernier volet de mon premier recueil paru aux éditions Accents Poétiques, D’écorce et d’écume, préfacé par toi, Émilie… – s’ouvraient déjà sur la marche en cadence des mots, perchés sur un fil au-dessus du vide :

je n’ai qu’un pouvoir
celui de faire marcher
les mots sur un fil
au-dessus du vide
des puits éventrés5

Émilie Notard : Tu cites deux poèmes très différents, l’un long et filiforme et l’autre court et compact. Entre ces deux poèmes, quels changements radicaux as-tu effectué dans ton écriture ?

Michèle Zwegers : J’ai appris à élaguer, supprimer les mots qui alourdissent et qui empêchent le poème de s’envoler. Car le poème ne doit pas demeurer les pieds sur terre, il doit emporter lectrices et lecteurs vers d’autres sphères, des sphères inconnues où les arbres se parlent, où les carpes ont les yeux retournés, où frémissent les hortensias géants sur un sol en feu.

Émilie Notard : As-tu atteint ce que tu cherchais dans l’écriture en empruntant cette autre voie ?

Michèle Zwegers : J’ai creusé, creusé les murs, épluché les mots, ôté leur chair jusqu’au trognon, jusqu’à la flamme, jusqu’à la forge de la création. Là enfin, j’ai vu naître le soleil aux mille pattes, les miroirs déformés qui vomissent des images insensées, les puits qui s’ouvrent sur la chevelure folle des oliviers en transe.

Émilie Notard : Atteindre la forge de la création, c’est – à te lire – atteindre le paroxysme poétique. Mais n’est-ce pas aussi atteindre un point de non-retour ?

Michèle Zwegers : Il faut revenir de ces terres brûlées, revenir et survivre. La vie nous accorde quelques moments d’évasion. Pas plus. L’art est un flash qui traverse une émotion, nous entraînant vers un prodigieux vertige, nous entraînant jusqu’à l’ivresse, l’ivresse des jouissances de la création. Alors, méfiance, il ne faut pas trop longtemps s’égarer à travers les forêts obscures. Quand l’air commence à manquer, il faut sortir la tête de l’eau, nager jusqu’au rivage et s’accrocher au premier rocher. Sagement, les choses reprendront leur place, tout redeviendra normal. De nouveau la banalité, le café dans la tasse…

déjà la ville s’ébroue
comme un chien qui sort de l’eau6

***

les mots reviendront
j’ai laissé ma porte ouverte7

***

le cœur des mots
bat dans les herbes

et le poème attend
tranquillement

assis au pied d’un arbre8

Émilie Notard : Si « le poème [peut] attend[re] / tranquillement / assis au pied d’un arbre », il peut aussi surgir par surprise entre ciel et terre, enflammé au bord des eaux, image9 sur laquelle se termine ton recueil et qui réunit les quatre éléments composant les quatre volets de La forge de la création. Peux-tu nous en dire davantage sur le fonctionnement de cette forge qui a donné son nom à ton recueil et qui apparaît à plusieurs reprises dans le premier volet intitulé « Feu » ?

Michèle Zwegers : La forge de la création, elle est en moi depuis toujours. L’écriture m’a menée jusqu’à elle. Le feu qui en jaillit est porteur d’images arrachées à ma propre chair, ce feu qui éclaire les nuits, me transmet son énergie et son irrésistible envie de saisir à pleines mains l’ombre mouvante des algues.

Émilie Notard : Merci, chère Michèle, pour cet entretien retraçant l’évolution de ton écriture qui a trouvé sa voie/voix. Continue à bien entretenir le feu de ta forge, le feu de la création. Comme tu l’écris si bien dans le poème qui sert d’épilogue à ce recueil, laissons désormais tes lectrices et tes lecteurs « collectionne[r] // juste de quoi / rêver plus tard » …

Michèle Zwegers : Merci à toi, chère Émilie, car sans toi, ce recueil n’existerait pas. Merci à Guillaume de Chantérac. Et merci à mon frère, Bernard Zwegers.

 

Entretien avec Michèle Zwegers en préambule de son recueil


1 Si les poèmes de ce recueil ont été rédigés par Michèle Zwegers, le recueil a quant à lui été composé par mes soins à la demande de l’auteure pour les éditions Accents Poétiques.
2 Poème publié dans la partie intitulée « Feu » du présent recueil.
3 Poème publié en 1983 dans le n° 52 de la revue Vagabondages, revue dirigée par Marcel Jullian (Paris).
4 Poème publié dans les année 80 dans le n°12 de la revue du Havre Encrage.
5 Zwegers, Michèle. (2016) D’écorce et d’écume. Paris : Accents Poétiques, p.168.
6 Poème inédit.
7 Poème inédit.
8 Poème inédit.
9 « les mots sautaient / dans l’air rempli d’oiseaux // la page blanche était en flammes / c’était un jour de fête au bord de la falaise ».

Informations complémentaires

Poids 182 g
Dimensions 11 × 18 cm
Auteur(s)

Michèle Zwegers

Editions

Accents poétiques

Format

Poche

ISBN

978-2-916792-45-3

Nbre pages

216

Découvrez quelques pages de l’oeuvre

La-force-de-la-creation_extrait

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