Description
Toutes ces images qui pèsent dans la mémoire, qu’elles soient la preuve d’un passé que tu n’as pas renié, qui continue, invisible, à t’accompagner puisque devant toi, il n’y a plus qu’un paysage hors d’atteinte, balayé par la pluie et dont tu doutes même de la présence !
Max Alhau1
Comment résumer le mouvement des Galets bleus2 de Michèle Zwegers si ce n’est en citant ces deux vers de Cécile Oumhani : « rejoindre la brèche / où se mêlent passé et présent »3. Cette brèche, c’est la mer qui emporte pour mieux « rejet[er] / ce qu’elle a volé »4, comme l’indique le poème sur lequel s’ouvre ce recueil. Allégorie de la plume de l’auteure, la mer ressasse dans son incessant va-et-vient les drames de ses profondeurs (« les mots tragiques »), non pour les rejeter en décomposition sur la plage mais pour les rejeter lavés de leur douleur et de leur violence. Ainsi, en fin de poème, « le cadavre des lilas » devient « l’ombre des lilas ». Si la psychanalyse – entre autres Carl Gustav Jung – verrait en cette ombre « tout ce qui a été écarté de la conscience incompatible avec le moi »5, nous y voyons la simple trace d’un passé douloureux – le souvenir marbré d’une enfance difficile qu’elle appelle « blessure ouverte », « blessure originelle » ou « blessure de l’enfance insultée » – et qui se reflète sur la surface miroitante des galets bleus.
Ces petites pierres couleur encre qui ont donné leur nom à ce recueil réapparaissent à deux reprises au fil des poèmes avant de s’imposer dans le dernier vers du dernier poème où le je lyrique aux accents fortement autobiographiques formule un souhait : « je voudrais tant courir […] // sur le silence / des galets bleus ». On comprend alors la force magnétique de ces deux poèmes qui comme les deux surfaces d’un galet se cherchent désespérément : la face du passé, celle de l’ombre des lilas et la face du présent, celle du silence qui fait battre le cœur du sens. Tout le recueil traverse le miroir du passé et tend vers ce silence au présent. Dans la dernière partie justement intitulée « Silence », Michèle Zwegers observe ce silence dans les herbes et les arbres, les rosiers et la rosée, les brumes et les ruisseaux de l’aube à la tombée de la nuit. Elle l’effleure sans jamais s’y abandonner pour ne pas « troubler / la paix de cet instant ». Même si elle sait que ce silence est « la porte enfin ouverte » sur laquelle s’ouvre la fin du recueil, elle est toujours dans la retenue. Des images silencieuses du passé viennent la hanter et parasitent la luminosité presque religieuse du silence qu’elle associe à une « révélation » ainsi qu’à la couleur blanche. Dès lors, le silence jusqu’ici léger et chaleureux devient lourd et froid comme le « marbre » au point d’être associé à la mort et au vide. Par conséquent, elle s’en remet à son rêve de silence plutôt qu’au silence même.
En agissant ainsi à la fin du recueil, elle semble retourner au rêve qu’elle faisait dans la première partie du recueil face à « l’intime chaos » où « l’enfer et la lumière [sont] enchevêtrés ». Or, dans la première partie, elle sort de ce rêve pour affronter la peur du vide et l’angoisse existentielle, ce vertige de la liberté entamant sa libération d’elle-même. Elle perd de nombreux repères essentiels : l’écriture dans la première partie, son propre visage dans la seconde, son identité dans la troisième – où elle parle d’elle-même à la troisième personne du singulier au masculin – et sa voix dans la quatrième. Fatiguée par cette nausée existentielle, elle s’octroie « un tout petit répit », comme l’indique le titre de l’avant-dernière partie. Mais là encore, la pause est de courte durée. La pluie fait remonter la douleur enfouie qu’elle traduit par cette image cauchemardesque : « et mes blessures / ouvrent leur bouche // pour m’avaler ». L’enfance du passé ressurgit, réinvestit les poèmes et entre fatalement en collision avec le présent de l’âge de raison qui, lui, cherche à se défaire de ce lot de souffrances en « pei[gnant] avec des mots / les surfaces noires » pour que « la nuit devien[ne] lumière ». Alors qu’elle entre dans le silence en fin de recueil, la brèche où se mêlent passé et présent n’est pas colmatée, la blessure originelle d’une enfance bafouée n’est pas cautérisée, ce qui explique l’échec final et la dimension sisyphienne de ce recueil introspectif.
Telle l’ombre des lilas qui se profile sur les galets bleus au début du recueil, le silence n’est à la fin plus que l’ombre de lui-même se reflétant sur la face cachée de ces mêmes galets. Mais tout porte à croire qu’un jour, sur cette surface couleur encre, flotteront les ricochets de « cygnes (signes ?) blancs » comme une écriture argentique.
1 Alhau, Max. Ici suivi de Éloge du vent. Laon : La Porte, 2017.
2 Comme pour D’écorce et d’écume (Accents Poétiques, 2016), Les galets bleus a été composé par mes soins à la demande de l’auteure.
3 Oumhani, Cécile. La nudité des pierres. Paris : Al Manar, 2013 : 40.
4 Toutes les citations sans indication bibliographique sont tirées de ce recueil.
5 Larousse en ligne : http://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Carl_Gustav_Jung/126297 (21.05.2017).