Description
Exister comme ombre, c’est exister.
S’ils existent dans l’effacement, dans le retrait, c’est que leur douleur est trop forte.
Se présenter dans cette transparence est une façon d’être au monde et leur chemin est ce chemin de transparence et d’ombre.
Ce n’est pas une marche ; la marche n’apprivoise pas le pas. La marche est rythme et foulée. Elle est but, outil d’un agent. Elle n’exprime pas le corps.
La danse est ce mouvement où ils se trouvent et où ils nous échappent en se trouvant.
La danse est rêve aussi.
Pourtant dans ce livre, les cauchemars de l’enfance n’ont pas disparu. La mort est à nouveau présente et son souvenir tenace. Mais ici, la mort mène à l’amour.
Il faut la suivre dans sa danse incertaine et fragile. On aperçoit le vent à travers ses voiles.
Son corps n’est qu’hésitation, transparence et miroitement.
Peut-être se vit-elle comme étant une fée, accompagnée de lucioles ?
Nous la suivons qui vole de pont en pont sur les quais de Paris.
Elle glisse sur la pointe des pieds. De son pied cambré de danseuse légère, elle dessine la courbe de sa douleur et de ses désirs.
Elle nous parle de ses souvenirs qui la hantent, de la mort des êtres qu’elle a aimés, de ses levers à l’aube froide, de ses nuits sans sommeil, de son corps meurtri par la mort qui s’insinue en elle, de ses errances dans la solitude blême des petits matins et d’autres fois de ces lieux qui la rassurent et servent de rempart à la chute.
Et puis un jour advient l’Autre : ce frémissement de l’autre, du tout autre, de l’« il-y-a » de l’autre.
Dans cette naissance à l’amour, elle n’est plus encombrée des multiples visages qui dévoraient son corps.
On voit, on entend presque les enfants qui courent dans les volées d’escaliers. Ces souvenirs la ramènent à la vie :
Sur la rosée qui ploie
le vent déteint vert et rose
c’est une éclipse du noir côté jardin d’été, clin
d’œil du soleil à la fenêtre
la pluie devient luciole, la luciole
fleur d’oranger et l’orage neuf
fanfare céleste rouge
coquelicots danseurs de flammes
jupes tourbillonnantes rouges
parfois les mots s’étoilent
L’amour est déjà proche. Il n’est que frémissement. Dans le métro, il lui suffirait d’un changement de ligne pour qu’elle le trouve dans les couloirs sombres.
On l’aperçoit sur l’autre rive de la Seine. Ils se croisent. Elle voudrait le rencontrer au milieu du pont.
Même si cet amour est peur, hésitation. Même si elle le voudrait presque effacement et qu’elle souffre de son corps glacé lorsqu’elle échoue sur le lit vide des rendez-vous manqués. Elle continue à l’écrire, à espérer.
Son propre corps lui est parfois plus étranger que n’est le corps de l’autre. Elle se vit alors dans l’absence des corps désirés : celui de l’autre, le sien.
C’est dans cet Amour total qu’elle fait aussi l’expérience de la proximité de l’autre malgré son absence.
Étrange rencontre qu’est cet autre qui est plus que soi-même. Mais l’Amour ne naît-il pas toujours ainsi dans ce renversement des priorités ?
Dans son long exil douloureux, la peinture est toujours présente. Ses poèmes exhalent des senteurs d’huile. Ce qu’elle nous écrit est alors magnifiquement coloré.
Dans ce premier texte, rédigé au chevet de sa tante qui lui parle de son enfance, l’amour devient « le Bleu » :
Tout bas elle me parle des abeilles
de mai qui chuchotent à l’oreille des fleurs
elle parle du miel de genêt
des bouquets jaune bouton d’or
leur jaune solaire à manger des yeux
sans le savoir elle me parle de toi :
ce jaune ne va pas sans ce bleu
ce bleu ne va pas sans amour
cet amour ne va pas sans toi.
Il l’est encore dans ce second texte :
Parmi les wagons de nuages
en fil ténu la présence éclot.
c’est la couleur bleue.
Bleue comme comme la mer quand je l’aime.
Bleu comme l’océan qui me parle de toi
en verts grisants secrets murmures de toi
Le retour à la vie est désormais possible. Leurs mains se sont rapprochées. Elles s’étaient peut-être déjà frôlées dans le métro, la rue ou ailleurs sans le savoir. L’auraient-elles pu sans se reconnaître ? C’était impossible. Ils se savaient faits l’un pour l’autre.
Seule la danse de leurs deux corps pouvait les réparer de la noire solitude de la ville. Les sortir du bloc emmuré de la marche morte, de la foule compactée dans un « bloc d’espace ».
C’est elle qui entame le premier pas. Un pas de danse, un pas chassé sur le côté.
De l’autre côté du miroir, l’être aimé inverse et solitaire, sait.
Il la prend par la main pour traverser le miroir.
Il ne leur suffit plus que d’un seul pas pour qu’ils se trouvent dans la même pièce et qu’ils commencent à réinventer le monde :
Entre deux portes
entre deux murs, à l’unisson
des blancs entre-deux tu cherches
un banc
de bois ou de pierre
un banc sous un arbre
quelques trilles verts d’oiseaux
et de feuilles
et le sol ocre
de cet ocre piégeur d’astres
un pigment ocre, un pigment bleu, un pigment vert
juste pour recommencer le monde
Jean-François Declercq
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