Description
La poésie solaire d’Ahmed Ben Mahmoud est cette « langue du sable » balayée par le vent où se déposent quelques sédiments d’existence dans un langage à la fois épuré et incandescent : la houle d’un regard, une odeur de jasmin, l’écume de la mer, un agave trouant le ciel, une étreinte, la saveur du pain rompu et partagé, un moment de sérénité simplement assis là à contempler…
Si la vie s’apparente à « […] une flamme / attentive et fragile », le poète en cultive ardemment le souffle vacillant, veillant avec patience sur ce jeu d’ombres et de lumières entrelacées.
Parfois, dans un simple frémissement, ressurgissent quelques fragments de paradis perdu, ces souvenirs au goût de rêves et d’enfance… Il nous appartient alors de transmuer cet exil constitutif, notre native incomplétude en chant de liberté, d’en faire en quelque sorte, selon les mots de René Char, « la blessure la plus rapprochée du soleil » : « est liberté du soleil / de choisir son exil / le mien raconte la vitalité de la lumière ». Cette fragilité constitutive ainsi offerte en partage d’humanité devient alors cette offrande généreuse et inquiète balayée par le souci constant de l’Autre : « ai-je fait profiter ce qui m’entoure / de cet excès de lumière ? ».
Rien ni personne ne saurait être alors insignifiant dans ce recueil incessant du mystère de l’être, même ces « sans noms » et sans visages qui peuplent nos rues. L’oraison des jours, la simple lueur de l’aube devient alors cette prière muette qui s’oppose à toute sanglante barbarie en réaffirmant cette valeur intrinsèque de toute vie, même dans ses expressions les plus humbles et les plus ténues.
Sans doute cette parole journalière ne pourrait véritablement s’achever qu’aux portes même de l’infranchissable, cet « alphabet invisible » vers lequel tend tout poème comme un horizon possible toujours renaissant. L’univers devient alors ce livre de signes à parcourir dont nous ne cessons d’interroger le sens jusqu’au « torrent initial ». Chaque mot constitue alors une tentative de renaissance parfois dans la douleur pour en extraire la peur et tenter de ne retenir que la beauté, à l’image de cette « […] fougère / penchée sur le désert du monde ».
Toutefois, il n’y a rien de désincarné en ces textes glorifiant la création, même la plus infime et la plus ignorée à l’image de « ce grain de sable / dans la paume de nos mains, / posé / entre [nous] / et l’inconnaissable ». C’est donc dans un foisonnement de couleurs et de sensations toujours renouvelées que s’ancre la poésie d’Ahmed Ben Mahmoud où l’écriture devient alors en quelque sorte le garant de ce qui fut vécu : une trace apaisante et fondatrice qui « stabilise la terre » en tentant d’arrêter la course folle du monde et du temps…
Ainsi en terre de poésie demeure cette saveur préservée de chaque instant déposé comme un poinçon d’existence : une chaise posée sur un pas de porte, un olivier, un feu ou tout simplement une ombre qui bouge… Fugitive bougie éclairant notre nuit dont la lueur ne cesse d’éclairer et de parcourir ce recueil dont l’humilité et la simplicité patiente ne fait que rehausser la valeur de ce qui nous est ainsi offert : l’éclat toujours renaissant d’un moment de grâce partagé pour transcender la nuit où chaque regard rencontré devient ainsi « une graine prête à éclore ». Cette promesse engendrant à son tour la floraison incessante de chaque nouveau poème en un jardin imaginaire toujours renouvelé ou un patio secret dans une écriture mêlant à la fois la limpidité de la lumière et la sensualité de la terre…
Véronique Saint-Aubin Elfakir
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