Description
Brigitte Charnier n’est certes pas un nom inconnu des milieux littéraires, ni des milieux poétiques (n’est-elle pas, entre autres, depuis 2016, l’actuelle présidente de l’Association poétique Sciriolus, active en région Auvergne-Rhône-Alpes depuis une trentaine d’années ?), si ces derniers s’intéressent quelque peu à qui revêt l’habit de tel ou tel pseudonyme, puisqu’en poésie, c’est sous le masque de Margueritte Cèdre que notre auteur écrit !
Force est aussi de constater que c’est de cette manière que notre amie a décidé de scinder ses deux voies d’activités littéraires : celle des publications découlant de son titre de Docteur ès Lettres, avec Maîtrise en littérature médiévale, précédant l’étude d’une complainte de tradition orale (« La Complainte de la Blanche Biche ») au travers du prisme de cette littérature du Moyen-Âge, dont les publications sont signées par Brigitte Charnier et le chemin de la Poésie, nourrie, comme nous l’avoue elle-même avec justesse Margueritte Cèdre, « de l’intime, du quotidien et d’un certain regard sur le monde ».
La dérive de l’arbre n’est pas tout à fait une découverte, pour la lectrice que je suis, puisque Margueritte Cèdre, sous ce même titre, avait déjà présenté aux concours de la Société des Poètes Français (SPF), un florilège – de fait, loin d’être aussi abouti que le présent ouvrage – qui, en 2017, avait obtenu un Diplôme d’Honneur dans nos concours annuels. Ce tapuscrit d’alors, bien revu et largement corrigé, mais aussi « augmenté » de quelques pages marquantes, nous offre à présent, à nous lecteurs, un recueil aux mille facettes, où l’émotion côtoie le songe, le deuil, la désespérance, la reconstruction de l’être et la foi en un nouvel avenir, où « dans un cercle sans faille / les origines retrouve[ront] leur centre ».
Le thème central de ce recueil, c’est la disparition de l’être aimé et le vide de l’absence. Son but ultime, c’est la résurrection de celle qui l’a perdu – un exercice périlleux entre tous, qui passera par l’acceptation de l’inéluctable, la confiance en la vie – y compris celle cachée des esprits qui nous entourent et des forces qui nous guident – et la (re)découverte de la force de l’écriture et de la vie des mots, ceux-là qui « sans le savoir / parfois / […] reviennent / papillons de la mémoire / se poser / sur les sillons de notre chant ».
Pourtant, dans cet ouvrage où les sentiments forts se heurtent aux aléas de l’existence, où le vocabulaire donne aux images leur sens et leur raison d’être, le lecteur qui se contentera d’un déchiffrage basique se privera de l’essentiel de la pensée transmise, parce que, de fait, Brigitte Charnier ayant donné rendez-vous, dans ces lignes, à Margueritte Cèdre, ce recueil est un nid de symboles et de signes cachés qui valent, tous, la peine d’être découverts, pour que le lecteur puisse aller à la rencontre de l’auteur dans l’intégralité de son œuvre et de ses sentiments.
Nous allons tenter de vous exposer, amis lecteurs, ceux qui nous ont le plus marqués, en vous laissant le soin de compléter par vous-mêmes, au fil de votre lecture, les « chaînons manquants » !
Le premier et le plus évident de tous est naturellement l’arbre.
Depuis l’Antiquité, en passant par l’époque des Druides et celle de la Rome antique, de par sa verticalité, l’arbre a été considéré comme le lieu sacré où le ciel s’enracine à la terre. L’arbre, avec ses racines ancrées dans les profondeurs du sol, son tronc et ses branches maîtresses qui fendent le ciel ainsi que ses fines ramures qui envahissent l’espace aérien, a toujours été regardé comme la force de la nature capable de mettre en relation les trois niveaux du cosmos. Il a toujours été, par excellence, le symbole de la vie en perpétuelle évolution. Mieux même : de par le déroulement de son cycle annuel, il s’associe naturellement à la succession de la vie, de la mort et de la renaissance. Voilà pourquoi les druides vénéraient le chêne, arbre-maître du bosquet des sept arbres cachés !
Et lorsque l’on se rappelle que Brigitte Charnier et Margueritte Cèdre sont une seule et même personne, est-il vraiment étonnant de rencontrer, dans ces jardin et forêt où nous déambulons en poésie, le cytise, plante des cœurs brisés et symbole de l’abandon, l’orme qui, au Moyen-Âge (!), était l’arbre symbolisant l’or et l’amour et sous lequel la justice était rendue, mais aussi le hêtre, symbole de la Déesse mère, image de la connaissance féminine, chargée de confiance, de patience et de douceur ? Quatre arbres qui, à eux seuls, résument tout un recueil poétique !
Force nous est donc de constater, face à ces « qualités » reconnues, que dans l’ouvrage de Margueritte Cèdre, ce n’est pas tant l’arbre lui-même qui dérive, que celle qui nous parle de lui ! Notre poète le reconnaît d’ailleurs par elle-même, puisqu’elle scinde son ouvrage en quatre chapitres dont les titres sont suffisamment expressifs : « Gouffre », « Incantation », « Regain » et « Arbre Retrouvé ».
Notons d’ailleurs, dès à présent, une autre symbolique de cette œuvre richissime : la musique est présente dans chaque subdivision, puisque dans les trois premières interviennent des « intermezzo », cet intermède musical des grandes partitions chantées, et que, dans la dernière, nous retrouvons en point final ce mouvement lent, chantant, souvent mélancolique qu’est le « cantabile », lui-même précédé du « coda » qui soit annonce la fin proche, soit renvoie (ici, le lecteur) au passage précédemment marqué. Margueritte Cèdre ne laisse rien au hasard, pour être sûre que nous comprenions bien sa propre partition !
Dans cette œuvre – d’un hiver aux portes du suivant, lorsque l’automne touche à sa fin – l’arbre passe par tous les stades de sa maturité, souvent aidé par la brume qui le masque et le protège… y compris du regard que porte sur lui la poète : de l’« […] arbre desséché / que la grâce de la sève a déserté » en passant par ce « […] rameau devenu arbre / d’où les branches crient / le poème » et par « l’arbre échelle aspir[ant] [le]s rêves » pour atteindre ces feuillus qui « […] entendent / la parole du retour » ou celui-là qui « […] éveille / à ses pieds / la terre de feuille et d’eau », Margueritte Cèdre retrouve, quant à elle, le goût et la force d’écrire ! Et c’est bien lorsque la brume disparaîtra totalement que le poète reprendra sa plume !
Comme l’arbre, la poétesse se dit être « l’arbre desséché », elle qui, « parmi les fientes et les cordages / […] arpente les mots ». Elle qui, ayant perdu l’amour – son amour – souhaite « délivr[er] les mots / de papier / [et] les inscrir[e] sur la page du ciel / […] // quatre pages / de nuages / pour / entrer en solitude / avec lui ». Mais c’est hélas bien par la douleur que reviendra l’inspiration, le désir d’écrire, lorsque « la colère des larmes alimente le verbe », alors que « la langue de la poésie [l]’a oubliée ». Voilà pourquoi il lui faut « démasquer / les mots / écorcer / le cœur des mots / retrouver l’indicible / noyé de couleur / par [s]es fantômes ». Mais, heureusement pour l’humain, le désir de vivre peut l’emporter sur celui de mourir, que l’on adopte provisoirement au temps de la douleur ! Ainsi, peut-on décider, comme le fait Margueritte Cèdre, de « […] condamn[er] le malheur / à l’exil » et voir « les roses de feu » « donne[r] aux souvenirs / le goût d’un à venir ».
Dès lors, nous pouvons lier passé et futur en usant, pour les décrire, « [d]es mots bienheureux / [d]es mots vénérables » ! Ainsi l’auteur pourra-t-elle avoir ce « parchemin / [qui] se libère de [son] silence ». Ainsi acceptera-t-elle que « les mots excisent / [sa] rêverie / s’abreuvant de la sève / scripturale » et que « le passé / rencontre les mots / d’aujourd’hui ».
Toute une lente progression pour que le « je suis arbre / sans racines » du début de l’ouvrage devienne ce « je suis arbre / qui s’enracine », à quelques pages de la fin.
Autre symbole de l’ouvrage : la couleur bleue !
Si, au début de notre traversée en poésie, cette teinte dénote le « froid bleu de la nuit », elle sera aussi « le bleu de[s] […] paupières » de l’auteur, la couleur des souvenirs passés (« mon épaule / se rappelle le bleu de tes bras »), la lumière de la neige « une trouée de bleu parmi l’or vertical / la forêt », enfin, celle qui guide l’auteur dans ses déambulations mentales – « bleu de la sorgue » ou « bleu des nuages ».
Mais aussi – et surtout ! – elle sera le bleu de la renaissance, que ce soit cette nuance dont on constate que « de la courbure du lac / à l’infini des plateaux versant sur l’abrupt / tu as ensoleillé de bleu les battements de ton cœur » ou que, retrouvant la maison du Bonheur, elle émerge « […] venue / de [s]es rêves / [s]es rêves d’arbres de / fleurs d’oiseau / dans un ciel tant bleu que / se perdent les nuages ». Même la table dressée se teinte alors de bleu : « sur la table ancestrale / une assiette / bleue », inscrivant et validant le retour aux sources et « la porte [qui] se referme », alors que « dans ses rhizomes / les eaux / de la vie / flamboient ».
Nous pourrions aussi parler des mains
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des mains : mains du couple qui caressent (« vos mains sur la glaise de mon corps »), palpant ou perdant les souvenirs (« les arabesques de vos souvenirs / effleurent ma main », « la main / caresse le souvenir des passions », « ta main s’efface de ma main »)
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des doigts : « vos doigts de sable blanc / s’écoulent sur mon corps / mes doigts de feuilles / frissonnent votre peau », « la mémoire oubliée / arrime ses images / sur mes doigts engourdis ».
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et des paumes, qui sont, elles, souvenirs de passion charnelle ou promesses de grâce et de renaissance, y compris celle de l’écriture (« ma paume se figera dans le bleu de mes paupières », « que les mots s’enchevêtrent dans ma paume » ; « la paume / assagie / décline sur la neige mes sentiments ») mais demeure cette volonté marquée de retrouver, pour tout écrire, la « valse lente / des lendemains / écrits sur votre paume ».
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Transcrire tous les souvenirs, fussent-ils olfactifs – comme l’odeur du café ou du thé, fragrances qui transportent, elles aussi ! – leurs images et leurs regrets !
Et puis, dire les asphodèles, fleurs des morts, mais symbole de régénération… Il est, d’ailleurs, d’autres poètes – et non des moindres ! – qui se sont référés à cette « fleur des Enfers » : « Un frais parfum sortait des souffles d’asphodèle / Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala / […] Ruth songeait et Booz dormait ; l’herbe était noire » (Victor Hugo, in « Booz endormi »).
Enfin, comme une renaissance, après la longue période d’un silence total, comprendre et, surtout, admettre que « l’espace du silence / est / l’espace du poète » !
Savoir que « la colère des larmes alimente le verbe », mais que, néanmoins, tôt ou tard, « le verbe renaîtra ». Avoir cette volonté farouche de « […] condamn[er] le malheur / à l’exil » en donnant, « aux souvenirs / le goût d’un à venir. »
Comme le met en exergue de son avant-dernier chapitre Margueritte Cèdre, « […] la poésie ne s’enferme pas / sa chair ne vit que de liberté », mais « la paix », quant à elle, « […] se compose / de fragments de petits bonheurs ».
Longue réflexion, infinie période de deuil, pour amener à l’acceptation du « plus jamais » de toute destinée humaine, mais en acquérant cette certitude que tout est néanmoins possible, que tout peut recommencer, que tant l’éternité que la sérénité peuvent nous être offertes par l’Art et par la Poésie.
Et quel meilleur symbole que le pont pour expliquer ce passage entre la vie et la mort, entre le sacré et le profane, entre la joie de vivre et la peine ! Margueritte Cèdre, quant à elle, fait allusion au « cinquième pont » qui, soit dans l’imagerie japonaise des neuf ponts (le cinquième étant le Pont du Vent et de la Pluie), soit dans notre imagerie européenne (Le Pont des Soupirs, à Venise), est partout reconnu comme étant celui « des Amoureux » ! Et, partant de là, celui du possible renouveau : « j’ai franchi le cinquième pont / […] / le ciel troué de vert / m’invitait », « les mots sous les vents / impalpables / résonnaient dans mon crâne / […] / derrière moi / à terre / loin / les cris de ma mémoire / se traînaient / fêlure d’un passé résilié / j’ai franchi le cinquième pont ».
Nous avons, en compagnie de Margueritte Cèdre, accompli un long cheminement. Nous l’avons accompagnée, à bout de souffrances, de souvenirs, de volonté et d’espérance, au terme de sa réflexion, qui au fil des pages, au gré des vers, est un peu devenue la nôtre.
« Le temps étreint / la permanence de l’art » : tels sont les derniers mots par lesquels Margueritte Cèdre clôture ce magnifique ouvrage de méditation poétique !
Victor Hugo, quant à lui, déclarait dans William Shakespeare : « L’art, c’est le reflet que renvoie l’âme humaine éblouie de la splendeur du beau».
Gageons, amis lecteurs, que vous découvrirez, en parcourant les vers contenus dans La dérive de l’arbre, toute la splendeur de ce chant d’amour, à la fois triste et teinté d’un souffle poétique et rédempteur, dont la profondeur des pensées et la pureté des mots feront un ouvrage marquant de votre bibliothèque !
Bonne lecture à tous !
Véronique Flabat-Piot
Vice-Présidente et Responsable des Prix de la Poésie de la Société des Poètes Français
Chevalier de l’Ordre des Arts & des Lettres
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