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Disponible aux éditions
Accents Poétiques

Interview de Thierry Cabot
à l’occasion de la sortie de son recueil « La Blessure des Mots »

 

Accents Poétiques
Dans le poème « Évaluation », vous abordez les thèmes de l’école et des chefs d’œuvre de la littérature. Quels sont vos premiers souvenirs de lecture à l’école ?

Thierry Cabot
Même s’il est de bon ton aujourd’hui d’en cultiver la nostalgie, il convient d’abord de préciser que l’école des années soixante était pour le moins austère et cadenassée. Dans cet univers assez triste où les récréations suscitaient chez moi tellement plus d’intérêt que le ronron des cours, je me suis prodigieusement ennuyé !

Il faut par ailleurs rappeler qu’à côté d’enseignements fondamentaux d’une réelle consistance, les châtiments corporels (coups de règles sur les doigts et autres vexations) n’avaient rien d’exceptionnel à cette époque-là.

Ouf ! Au milieu d’un tel océan de grisaille dans lequel des punitions quelquefois humiliantes se donnaient libre cours, voilà qu’en CM2 apparut enfin un formidable instituteur qui, adepte des méthodes Freinet, multipliait les innovations et n’hésitait pas au besoin à solliciter le vote des élèves quant au choix d’un poème en classe. Je tiens à ajouter que son autorité naturelle faite de rigueur et de bonhomie le plaçait au-dessus de toute velléité coercitive.

Plus tard, sauf rares exceptions, je dois convenir que le système scolaire français m’a fort peu sensibilisé à l’importance des livres et a encore moins provoqué en moi ce que l’on appelle l’amour de la lecture.

Celui-ci en fait s’est manifesté de manière spontanée, à la faveur d’une inscription à la bibliothèque de mon quartier à Toulouse. Là, après avoir dévoré, dès les premiers mois, moult volumes des collections Rose, Verte et Rouge et Or, je me suis peu à peu plongé dans les romans de Jules Verne et d’Alexandre Dumas. Parfois même, selon l’humeur du moment, tantôt j’empruntais un ouvrage consacré aux dinosaures, tantôt je revenais à la maison, les bras chargés de livres d’astronomie. Mais au fil des années, les grands noms de la littérature universelle occupaient de plus en plus mon esprit, et c’est donc au contact de leurs œuvres qu’est venu s’affirmer avec une acuité particulière ma passion de la lecture.

Accents Poétiques
Dans votre avant-propos à La Blessure des Mots, vous parlez de vos « orientations esthétiques ». S’agit-il des grands noms de la poésie francophone que vous citez dans votre poème « Mon Panthéon poétique » ? Y a t-il des poètes non-francophones et des poétesses dans votre bibliothèque poétique ?

Thierry Cabot
Oui, il s’agit bien des poètes les plus chers à mon cœur au sein de l’espace francophone. Mais tant d’autres poètes dans d’autres langues ont su imposer leur génie. Sans souci d’exhaustivité ni de hiérarchie, je citerai pêle-mêle Sappho, Shakespeare, Pouchkine, Federico Garcia Lorca, Goethe, Hölderlin, Pablo Neruda, Khalil Gibran…

La traduction en poésie, d’ailleurs, s’apparente le plus souvent à un exercice de haute voltige dans la mesure où la matière sonore des mots n’est pas la même d’un idiome à l’autre. Si, le cas échéant, on peut restituer le sens d’un texte poétique, combien il est malaisé d’en traduire l’âme, la couleur, les résonances.

Ah ! j’envie les polyglottes.

Accents Poétiques
Si la lecture a joué et joue un grand rôle dans votre vie, comment en êtes-vous venu à l’écriture ?

Thierry Cabot
Comme nous le savons, les écrivains ont d’abord été de grands lecteurs. Il n’est pas rare ainsi d’entendre l’un d’eux affirmer haut et fort que son désir d’accomplissement dans l’écriture s’est nourri de l’admiration portée à un aîné.

Chez moi, l’effet déclencheur qui favorisa le passage à l’acte, se produisit de manière assez simple. Ma mère me fit découvrir les poèmes d’un jeune homme de dix-neuf ans, aux beautés rafraîchissantes. Ce fut un choc car il s’agissait là d’un jeune contemporain.  Ainsi les poètes n’existaient pas qu’à titre posthume dans des manuels scolaires. Quelle révélation !

Mu par un élan irrépressible, je pris donc la plume à l’âge de quatorze ans avec la foi d’un croisé en Terre sainte.

Merci Yvan-Didier Barbiat.

Accents Poétiques
Vous qui écrivez entre autres en alexandrins, avez-vous l’impression d’écrire à contre-courant à une époque où le vers libre prédomine largement le paysage poétique ?

Thierry Cabot
À vingt ans, ce choix me désignait comme un poète à contre-courant. Or, selon moi, il n’en va pas de même aujourd’hui. Je connais un nombre significatif de jeunes auteurs qui trouvent dans cette forme d’expression une grande source de joie : joie de jouir des sonorités de la rime, joie de se laisser porter par un rythme exigeant, joie de manier des mètres divers, joie de surmonter les obstacles de la versification pour en tirer un surcroît d’expressivité ou de force, joie de revisiter les formes fixes, notamment le sonnet, à travers les yeux de la modernité, joie de varier les coupes au gré de son inspiration, joie de cultiver l’art de l’élision, joie de sculpter les mots dans un espace contraint, joie de tisser un quatrain, de filer un tercet…

Cela dit, je suis également l’auteur de poèmes de forme libre dont l’écriture m’a procuré un bonheur sensiblement égal ; mais pour d’autres motifs.

Si j’en ai beaucoup moins écrit, c’est que mon tempérament me prédisposait plutôt à adopter prioritairement le vers régulier. « L’art, mes enfants, c’est d’être absolument soi-même », disait Verlaine. N’avait-il pas raison ?

D’ailleurs, lorsque sur son site apparaît le beau slogan « Quand auteur rime avec éditeur » – je lui adresse ici un petit clin d’œil – « Accents Poétiques » n’illustre-t-il pas lui-même à sa façon la permanence d’un certain style d’écriture ?

Accents Poétiques
À la fin du poème sur lequel s’ouvre l’édition augmentée de votre recueil La Blessure des Mots, vous écrivez : « Le troupeau gigantesque et repu de mensonges, / Bêle à n’en plus finir pour étouffer ta voix ». L’interminable bêlement des moutons de Panurge s’oppose à la frêle voix du poète. Cette métaphore reflète-t-elle votre opinion quant à la place de la poésie dans notre société postmoderne ?

Thierry Cabot
Oui.

Bizarrement, la poésie est convoquée comme un alibi commode. Mais sa singularité, sa nature même, sont occultées en grande partie. La société postmoderne, à la fois bruyante, vénale et occupée par des futilités, étouffe trop souvent la voix du poète dont à bien des égards les aspirations tournent le dos aux siennes.

Il n’en demeure pas moins que des femmes et des hommes – parfois sur le tard ! – découvrent ou redécouvrent le pouvoir d’une parole libérée de toute contrainte, une parole nue, ouverte, qui donne de la vie une image plus complexe, plus belle et plus profonde.

Accents Poétiques
Qui sont les « flamboyants éveilleurs d’inouï » que vous évoquez dans votre poème intitulé « Le monde spirituel » ? Serait-ce les poètes ?

Thierry Cabot
Les « flamboyants éveilleurs d’inouï » sont aussi bien des mystiques, des rebelles, des poètes, des saints, que des visionnaires… tous ceux qui, derrière la médiocre apparence des choses, voient scintiller des matins neufs, des aurores magiques.

Il y a en effet dans la poésie, pour parler plus précisément d’elle, une irréductible part d’émerveillement au sein de laquelle l’esprit et le cœur tissent une relation plus pure au monde.

Accents Poétiques
Comme l’indiquent les thèmes de la jeunesse, de la vieillesse et de la mort qui apparaissent dans vos poème, vous semblez obséder par la question du temps, ce temps qui rit au nez du je lyrique au début du poème « Houle funèbre » et qui nous rappelle la voix métallique de l’horloge baudelairienne. Faut-il lire dans cette obsession une angoisse existentielle ?

Thierry Cabot
Le thème du temps apparaît bien comme un des principaux fils conducteurs du livre. Qu’il faille y voir une « angoisse existentielle », cela ne fait pas l’ombre d’un doute.

Tout petit déjà, j’avais tendance à scruter les visages marqués par les stigmates des ans. En pleine jeunesse, je m’imaginais aisément à l’orée de la soixantaine, comme si tout au fond n’était que parenthèse.

Cette « angoisse existentielle » cependant ne m’a point empêché de vivre. Au contraire !

Pour illustrer mon propos, avec sans doute encore plus de recul face à la notion de « durée », je vous livre, ci-dessous, un commentaire que m’a inspiré le poème intitulé « Le sang du monde ».

Dans « Un quai de gare à Toulouse » le passage douloureux des années se manifeste à l’échelle d’une vie. Ici,  la perspective change. La réflexion poétique s’élargit à l’ensemble de l’humanité ; les uns et les autres, nous naissons, nous vivons, nous mourons, et cette aveugle fuite en avant devient d’autant plus insupportable que l’oubli souvent en forme le substrat. Or notre existence elle-même, quelque importance qu’on lui accorde, ne pèse rien à l’aune des temps géologiques. En poussant le raisonnement plus loin, notre bonne vieille terre, âgée aujourd’hui de quatre à cinq milliards d’années, n’est à son tour qu’une planète insignifiante perdue au milieu du cosmos, dont la mort est d’ores et déjà programmée. Le poème « Le sang du monde » s’inscrit donc dans cet horizon temporel à la fois immense et limité que beaucoup d’entre nous, tant il donne le vertige, se refusent à penser et à voir.

Accents Poétiques
Vos poèmes nous confrontent également à des questions métaphysiques. Alors que les mots « abîme » et « cieux » sont assez récurrents dans vos poèmes, une dialectique s’installe au cœur du je lyrique seul et apeuré par sa condition humaine. L’appel du gouffre serait-il plus fort que celui de Dieu ?

Thierry Cabot
Tantôt l’appel du gouffre va se montrer le plus fort, tantôt au contraire l’appel de Dieu va prendre l’avantage. N’ayant en rien l’apaisante « foi du charbonnier »,  je m’efforce de vivre au mieux avec cette dualité qui très certainement agite nombre de mes semblables.

Le rapport au divin, à la transcendance est bel et bien présent dans La Blessure des Mots, et sous de multiples aspects. Même si d’autres interrogations s’y font jour, j’ai voulu sans conteste donner à mon ouvrage une dimension spirituelle.

Accents Poétiques
Mélancolie, dépression, désespérance, nostalgie… tels sont les termes qui apparaissent dans les titres de vos poèmes et au détour de vos vers au point de faire de votre je lyrique un frère du Desdichado de Nerval. Vous reconnaissez-vous en cette figure lyrique du Romantisme ?

Thierry Cabot
Si je me reconnais dans cette figure lyrique du Romantisme, c’est  partiellement, car d’autres titres et d’autres mots offrent une sorte de contrepoids à ceux que vous citez.

Il semble toutefois que la tonalité générale de l’œuvre est d’abord dominée par une certaine mélancolie où ne cesse d’affleurer un sentiment : celui de la fragilité de l’existence humaine.

Un poète, c’est un style, mais aussi une voix, et la mienne ne doit pas manquer d’inflexions grises.

Accents Poétiques
Léane, Ida, Luce… qui sont ces muses qui peuplent vos poèmes et « qui tiennent les fils superbes de [la] joie » du je lyrique ?

Thierry Cabot
Que dire de mes Muses ? Je laisse le soin aux lecteurs de deviner leur identité.

Accents Poétiques
« Le pouvoir d’un mot refait un amant / Quand vous, poésie, êtes sa maîtresse. », écrivez-vous à la fin de votre « Prière à la poésie ». La poésie est-elle l’ancre qui vous empêche de sombrer, qui empêcherait l’humanité de sombrer ?

Thierry Cabot
La poésie serait-elle en mesure d’empêcher l’humanité de sombrer ? C’est prêter à celle-ci un bien grand rôle. Si je crois peu, quant à moi, aux métamorphoses collectives, il m’est en revanche plus facile d’imaginer la transformation intérieure que cette dernière serait susceptible d’opérer chez un individu. Fermée à tout dogme, à toute visée utilitariste, cultivant volontiers la gratuité, rebelle à l’instrumentalisation et aux mots d’ordre, placée comme une vigie face à la marche ironique des jours, la poésie à l’évidence offre un espace singulier où chacun – théoriquement du moins – peut faire entendre sa différence.

Accents Poétiques
La Blessure des Mots a d’abord été publié de façon très confidentielle en format papier en 2004 aux éditions des Presses de Valmy, puis en format digital en 2014 aux éditions ÉLP. La blessure des mots se refermera-t-elle après cette troisième édition aux éditions Accents Poétiques ? Avez-vous d’autre projets d’écriture ?

Thierry Cabot
La Blessure des Mots fera l’objet d’une nouvelle et dernière édition en 2018.

Sans délaisser la poésie, je songe de plus en plus à me lancer dans l’écriture de nouvelles. Je n’écarte pas non plus le projet de m’atteler à la rédaction d’un roman.